Washington propose des sauvignons blancs parmi les plus captivants du continent nord-américain
Washington recèle l’un des secrets les mieux gardés du monde du vin en Amérique : un profil desauvignon blanc qui tranche avec le style plus méridional, plus opulent et plus solaire qu’offre la Californie, tout en étant plus riche, mûr et tendre que les sauvignons plus frais et linéaires à influence océanique qui caractérisent l’Oregon. Le Dr Paul White révèle les spécificités du cépage vu depuis Washington.
S’étendant sur une plaine désertique en altitude, le vignoble de Washington longe le fleuve Columbia, suivant sa trajectoire sinueuse à travers une gigantesque plaine centrale. Celle-ci se trouve encerclée par un massif où les températures diminuent progressivement puis par des contreforts plus escarpés. Paradoxalement, même si Washington se trouve au nord de l’Oregon, ses régions viticoles sont comparativement plus chaudes et plus ensoleillées.
Contrairement aux conditions climatiques qui caractérisent l’Oregon, les montagnes Cascade servent ici de barrière aux précipitations provenant du Pacifique, rendant les zones orientales extrêmement sèches. Ce phénomène permet aux raisins de rester plus longtemps sur pied et de profiter du soleil rasant de l’arrière-saison. L’altitude apporte à la fois journées ensoleillées et nuits fraîches, à telle enseigne qu’acidité et maturité cohabitent parfaitement. Comme dans l’Oregon, l’acidité naturelle constitue la règle.
Les vignobles de Washington s’étalent sur des superficies étendues, englobant de nombreuses variations climatiques et offrant ainsi aux vignerons la possibilité de reproduire le profil organoleptique que l’on associe à Bordeaux ou à la Loire. Parfois, l’alliance d’intense maturité fruitée et d’acidité naturelle rappelle quelque peu celle des sauvignons blancs de Hawke’s Bay en Nouvelle-Zélande.
Delille Cellars recherche les profils bordelais et rhodaniens
Pour mieux comprendre les différents profils proposés, passons en revue trois producteurs qui prônent une approche différente du cépage.
Delille Cellars et sa gamme Chaleur Estate sont nés en 1992, portés par la volonté farouche d’épouser les profils bordelais et rhodaniens. Depuis 1995, son ‘Blanc’ s’est inspiré de l’assemblage typiquement bordelais de sauvignon blanc et de sémillon, vinifiés en barriques françaises neuves et de plusieurs vins. Les raisins sont issus des vignobles les plus chauds situés dans le centre de Washington, à Red Mountain, dans le comté de Yakima. L’assemblage fait habituellement la part belleau sauvignon blanc, à hauteur des deux tiers, mais les proportions exactes dépendent du millésime. De même, la durée du passage sous bois et sur lies ainsi que le bâtonnage sont soigneusement ajustés d’une année sur l’autre pour tenir compte de la qualité du fruit. Les vins, et c’est tout à leur honneur, sont le reflet fidèle de leur terroir. Toujours avec la même attention portée aux détails, les vins ne sont commercialisés qu’au terme d’un long passage sous bois puis en bouteilles.
La cuvée Chaleur Estate Blanc 2013 (13,2%) tape en plein dans le mille avec son côté boisé grillé discret, ses arômes frais floraux d’aloe vera et son caractère fruité subtil. Sa texture très raffinée et sa finale élancée tout en longueur laissent augurer d’une belle longévité pour ce vin merveilleusement équilibré et distingué.
La cuvée ‘Blanc’ 2012 (14%) offre une jolie fraîcheur rappelant le haricot vert. Plus typée chardonnay en bouche, elle est plus ample avec une viscosité fine et une finale lisse. Le 2011, issu quant à lui d’un millésime compliqué et froid, propose des tonalités florales plus acidulées et des notes végétales et affiche une fraîcheur sans verdeur. A la texture serrée et fine, avec une acidité plus ferme, il est certes moins concentré et persistant mais démontre une grande présence. Ce sont des vins qui n’ont rien à envier aux meilleures cuvées bordelaises.
Inspiration ligérienne chez Efeste
L’œnologue chez Efeste, Peter Devison, a obtenu son diplôme d’œnologie en Nouvelle-Zélande. En arrivant dans le Washington, il a dû faire abstraction de tout ce qu’il y avait appris pour progressivement prendre ses distances par rapport aux profils hyper nets et sur le fruit typiques du Nouveau Monde. Il vise une approche de vinification plus stylée en conditions réductrices sulfurées avec des structures phénoliques (tanniques) plus complexes. A l’aide de levures indigènes et de techniques de fermentation en barriques de plusieurs vins sans collage ni filtration, il cherche sciemment à se projeter deux ou trois ans en avant en termes de profil organoleptique. Deux sauvignons distincts sont issus de deux clones ligériens différents.
Efeste Sauvage est élaboré à partir d’un clone ligérien offrant des raisins à peau relativement fine, cultivé dans le vignoble de Bouchet, où les températures sont plus chaudes. En résulte, un vin plus en chair et plus exotique, mariage de notes sulfurées stylées, d’arômes floraux de tiges vertes et de tonalités fruitées rappelant la mandarine mûre. En bouche, il est plus corpulent et mûr, tout en restant acidulé et fin.
Efeste Ferral provient de vignes situées plus au nord, à l’intérieur de la sous-région des Ancient Lakes, à des altitudes plus élevées et fraîches et sur des sols calcaires. D’inspiration volontairement ligérienne, ce vin exhale une palette aromatique étendue tout en étant salin et plutôt minéral. Il est également plus délicat et à la corpulence plus fine et acidulée que la cuvée Sauvage.
Savage Grace, l’un des rares domaines à privilégier la complantation
La cuvée Savage Grace de Michael Savage provient d’une vigne âgée de 45 ans, baptisée Red Willow et située dans la vallée de Yakima. Même si le domaine fait la part belle aux cépages rouges, le viticulteur Mike Sauer cultive également une vigne volontairement complantée de clones de sauvignon (le musque de Loire, le 317 et le 318), l’ancien clone californien de Wente, des clones d’Italie et d’ailleurs. A noter que les complantations sont extrêmement rares dans l’Etat de Washington.
Ce mélange complexe de ceps détermine le style de vinification mis en œuvre par Michael Savage. Il se donne comme priorité la transparence afin de mettre en valeur toute la clarté du fruit, privilégiant le pressurage doux en grappes entières suivi d’une fermentation en cuves inox, susceptible de préserver la pureté des vins.
Le Sauvignon Savage Grace 2014, issu d’un millésime plus chaud, offre des arômes floraux frais de tiges vertes et des notes plus mûres rappelant la mandarine. Il est plus massif, plus riche et corpulent que les deux millésimes précédents, le 2012 et le 2013. Ces derniers ont conservé les mêmes arômes floraux de tiges vertes mais dans un esprit plus délicat avec une minéralité en avant-plan. Caractérisés par une acidité plus mordante sur les agrumes, ils affichent un style plus tendu et plus linéaire.
Le sauvignon blanc est cultivé à travers l’Amérique du Nord, du Texas à la Virginie en passant par le Québec. La Californie se positionne comme le principal état producteur, et jouit également de la plus grande renommée. Toujours est-il que Washington et l’Oregon n’ont rien à envier aux autres Etats et proposent à l’heure actuelle des sauvignons blancs parmi les plus captivants du continent.