Petit à petit, le sauvignon a fait son nid en Italie

Au début du 20ème siècle, Molon, célèbre ampélographe italien, a décrit le sauvignon blanc comme un cépage français natif de la Gironde mais cultivé en Italie depuis le début du 19ème siècle, même si les modalités de son implantation dans ce pays restent incertaines. Néanmoins, on sait que dès son arrivée en Italie, il s’est concentré essentiellement dans le Nord de la péninsule, en particulier dans les régions de Triveneto et d’Emilie-Romagne, comme en attestent des documents écrits.

Parmi les différentes variantes de ce cépage, le sauvignon blanc est cultivé de manière quasi exclusive en Italie, le sauvignon gris étant peu diffusé. Nous allons évoquer également le sauvignon vert, que d’aucuns appellent le sauvignonasse ; d’après certaines hypothèses, il pourrait s’agir tout simplement du tocai friulano, variété cultivée dans le Nord-Est de l’Italie, mais cette théorie n’est pas partagée par l’ensemble des spécialistes italiens.

Le tableau numéro 1 montre la répartition du sauvignon blanc sur le territoire italien depuis 40 ans.
A la lecture des données, nous pouvons observer que les superficies de ce cépage ont progressivement augmenté au fil des ans pour atteindre environ 3 800 hectares, d’après le recensement effectué par l’ISTAT en 2010. La diminution globale du vignoble italien pendant les 40 dernières années explique, dans une certaine mesure, la part actuelle du sauvignon blanc (0,6%) et sa position au 40^ème rang des cépages cultivés sur la péninsule.

Dans le tableau numéro 2 figure la répartition des superficies de sauvignon blanc par région italienne, à partir du recensement de l’ISTAT de 2010.
Il est clair que la culture de ce cépage intéresse plus particulièrement les régions du Nord à l’heure actuelle, 79% des vignes y étant implantées. La diffusion est identique dans le Centre et le Sud de la péninsule, avec environ 10% du total.

Une analyse plus fine de l’implantation du sauvignon dans le Nord du pays révèle que les superficies se concentrent essentiellement dans le Nord-Est, c’est-à-dire les provinces de Bolzano et du Trentin, de la Vénétie, de Frioul-Vénétie-Julienne et d’Emilie-Romagne. A elles seules, elles représentent 73% du vignoble national. La production la plus qualitative se situe également dans ces mêmes zones, car les vins à dénomination d’origine l’emportent sur les catégories moins qualitatives que sont les IGT et les dénominations municipales.

Au sein de cet ensemble de zones, il convient de faire ressortir quelques distinctions qualitatives en fonction des différents terroirs.

Frioul-Vénétie-Julienne et Vénétie

Même si le sauvignon est cultivé dans l’ensemble des provinces composant ces deux régions – qui assurent à elles seules 50% de la production nationale – il est particulièrement répandu dans les provinces de Gorizia, Udine et Pordenone en Frioul-Vénétie-Julienne, et dans ceux de Venise, Vérone et Vicenza en Vénétie. La diffusion actuelle de ce cépage dans ces deux régions, placées au début du 19^ème siècle sous la domination de l’Empire austro-hongrois, s’explique en partie par des raisons historiques. Par ailleurs, les deux territoires ont des similitudes en matière de topographie et de conditions climatiques. Dans les deux cas, des plaines inondables et de petites collines caractérisent le paysage, les cultures étant ainsi implantées à faible altitude. Le climat se distingue par des précipitations moyennes à élevées, avec une succession de saisons bien marquées, alternant étés chauds et hivers froids. La présence de grandes étendues d’eau – la Mer Adriatique et le Lac de Garde – permet d’atténuer certains effets climatiques. Par conséquent, les raisins arrivent à maturité au cours de la première quinzaine de septembre. Ils présentent des caractéristiques rappelant une présence prédominante de précurseurs de thiols aromatiques et, dans une moindre mesure, de pyrazines. Les vins eux-mêmes se singularisent par des parfums intenses de fleurs et de fruits, avec peu de notes végétales. Parfois, et surtout ces dernières années, partiellement sous l’effet des changements climatiques, ils affichent des teneurs en alcool élevées et une acidité fixe faible. En règle générale, le vin est élaboré dans des cuves en inox et commercialisé l’année de sa récolte, avec mention du cépage. Plus récemment, la fermentation sous bois a eu tendance à se développer et, dans certains cas, le vin est assemblé avec d’autres cépages pour créer des cuvées commercialisées sous le nom d’un territoire ou la marque de l’entreprise.

Sur ces mêmes territoires, voire les mêmes provinces, le cépage tocai friulano est également présent. Les études de l’Institut expérimental pour la viticulture de Conegliano Veneto ont démontré que ce cépage correspond, peu ou prou, au sauvignonasse, appelé sauvignon chilien ou sauvignon vert au Chili. Le tocai friulano était auparavant très répandu dans la région et s’étendait sur environ 8 000 hectares dans les années 1970-1980. Aujourd’hui, ses superficies ont sensiblement diminué pour passer à quelque 2 900 hectares, entièrement localisés dans ces deux régions. Contrairement aux pratiques chiliennes, ce cépage n’est pas assemblé avec le sauvignon blanc mais commercialisé en tant que tel. Il peut néanmoins figurer dans les assemblages mentionnés plus haut, avec le sauvignon blanc. Les vignerons locaux affectionnent particulièrement le tocai friulano mais, petit à petit, celui-ci cède sa place au sauvignon blanc – plus prisé – ou, plus récemment, au glera (Prosecco).

Trentin et Bolzano

Ces deux provinces autonomes, localisées dans la région couramment appelée le Trentin-Haut Adige, se situent près de la rivière Adige, depuis sa source jusqu’à l’endroit où elle entre dans la province de Vérone. La région se caractérise par une plaine alluviale étroite à proximité de la rivière avec des coteaux souvent escarpés. Ceux-ci ont été creusés par l’eau sous l’effet de l’érosion, tout au long de sa trajectoire en direction de la vallée du Pô. Ainsi, on y trouve les vignobles les moins élevés de la vallée dont l’altitude varie entre 100 et 200 mètres, et des vignobles en coteaux allant jusqu’à 800 mètres d’altitude. La province de Bolzano, postée en amont sur la trajectoire fluviale, se distingue généralement par des vignobles implantés sur les coteaux les plus élevés. Le climat offre des amplitudes thermiques importantes entre l’hiver et l’été, mais aussi entre le jour et la nuit pendant la période estivale. Ces caractéristiques conduisent à une accumulation significative des précurseurs d’arômes pendant la phase de maturation des raisins, mais aussi à une accumulation restreinte de sucres et une baisse de l’acidité. Au final, il s’agit d’un climat qui rappelle celui de certaines régions au Chili. Par conséquent, les sauvignon élaborés dans cette zone offrent des notes variétales prononcées et extrêmement différenciées (légumes, fleurs et fruits), une teneur en alcool modérée, une bonne acidité et des saveurs intéressantes. Les vins sont commercialisés quasi exclusivement avec la mention du cépage et pas forcément l’année de la récolte. La production, tout en étant relativement faible (12% du total national), est réputée qualitative, voire très qualitative.

Emilie-Romagne

Dans cette importante région italienne, les cépages ayant la plus grande répartition occupent le devant de la scène, tandis que l’attention portée aux 425 hectares de sauvignon (11% de la production nationale) est en rapport avec les superficies. Ainsi, les vins sont commercialisés presque exclusivement à l’échelle locale. La zone de production est concentrée autour de la région accidentée des Apennins dans les provinces de Plaisance, Reggio d’Emilie et Bologne où, selon une tradition courante dans ces territoires, le sauvignon est élaboré et commercialisé en tant que vin effervescent, en plus des vins tranquilles. Le procédé de vinification est traditionnel et la culture de la vigne y est très ancienne, à telle enseigne que dans certaines provinces de Reggio d’Emilie et de Parme, le vin se nommait « Spergolina » ou « Pellegrina ». A noter également, ce cépage se cultive de manière traditionnelle dans la province de Ferrara, sur les plaines et les terres sablonneuses près de la mer. Des conditions de culture qui s’apparentent à celles d’une partie du Bordelais d’où la variété est originaire. Dans les secteurs viticoles de la région, les étés sont souvent très chauds et les raisins ont tendance à mûrir de manière intense jusqu’à la sur-maturation. Par conséquent, les vins présentent généralement des teneurs en alcool élevées, une faible acidité et des arômes variétaux modérés. Des vendanges précoces, associées à une seconde fermentation dans le but d’élaborer des vins effervescents, constituent sans aucun doute une manière intéressante et moderne de remettre le sauvignon au goût du jour dans cette région.

Centre Italie

Dans les cinq régions qui composent cette zone géographique, la culture du sauvignon est indéniablement plus récente qu’ailleurs, même si les premières expériences remontent au début du 20^ème siècle. La principale problématique rencontrée ici pour le sauvignon, comme en Emilie-Romagne, concerne les étés chauds et ensoleillés, qui ne permettent pas de préserver les caractéristiques aromatiques variétales. Ainsi, une nouvelle tendance a progressivement vu le jour : l’intégration du sauvignon dans les assemblages, y compris les cuvées qualitatives. Par conséquent, le sauvignon est inscrit sur la liste des cépages autorisés dans les cahiers des charges des vins typiques du Centre de l’Italie, comme cépage améliorateur. Certains producteurs élèvent les vins sous bois, tandis que d’autres élaborent des vins liquoreux, dans le même style que le Sauternes.

Italie méridionale et les Iles

Si la diffusion du sauvignon dans le Centre de l’Italie est récente, dans le Sud et notamment dans les Pouilles et la Sicile, son implantation est encore plus jeune. Son ancrage correspond au phénomène à l’œuvre depuis 20 ans, à savoir l’émergence des cépages dits internationaux dans l’encépagement. Des deux régions, la Sicile est sans doute la plus intéressante car sa topographie permet de compenser son climat chaud, peu adapté à la culture de ce cépage.