Les grands sauvignons blancs et l’élevage en bois, paradoxe et perspectives
La conférence proposée par le Concours Mondial du Sauvignon et organisée à Bordeaux le 10 avril 2014 a repris les travaux rassemblés par Valérie Lavigne sur les problématiques d’élevage du sauvignon blanc et de leurs différents contenants. La présentation a été assurée par les chercheurs Denis Dubourdieu, Valérie Lavigne et la journaliste franco-britannique, Sharon Nagel.
Présentation de Dr. Valérie Lavigne et Pr. Denis Dubourdieu (Institut des Sciences de la Vigne et du Vin)
L’élevage en futs de chêne est un évènement essentiel dans la production de vins de qualité, il est donc essentiel d’en comprendre le mécanisme et les effets. L’élevage en bois apporte des éléments gustatifs et olfactifs au vin. Il permet entre autre d’éviter des défauts au vin, et en particulier les problèmes de réduction dans les vins blancs. Avec une oxydation limitée dans le bois et la pratique du batonnage, il est possible d’homogénéiser le potentiel d’oxydoréduction du vin et de maîtriser les phénomènes de réduction. L’élevage en bois permet dès lors de maitriser aisément les défauts de réduction et de maintenir les vins sur lies durant la totalité de l’élevage – une pratique courante pour le chardonnay par exemple.
L’élevage sur lie a lui aussi des effets sur le vin. Il modifie entre autres l’impact olfactif du bois, en qualité et en qualité. Il provoque une autostabilisation du bois (précipitation tartrique et protéique) qui protège les arômes variétaux et limite les vieillissements aromatiques défectueux (le vieillissement prématuré du vin). À cela, s’ajoute un effet de sucrosité sans sucre dans les vins secs.
Cette douceur n’a d’intérêt que dans les vins secs. Elle est la résultante de la présence d’une protéine douce libérée par l’autolyse des levures, l’HSP12 (ou Heat Shock Protein). Le bois aussi libère des constituants « doux »: les quercotriterpénosides ou QTT. Ces QTT sont au nombre de 15 dans le bois de chêne. Attention cependant, l’élevage en bois peut apporter de la douceur sans sucre certes, mais aussi de l’amertume.
Les arômes du sauvignon sont difficiles à identifier, ce sont des molécules soufrés très sensibles à l’oxydation. Or, un apport boisé excessif entraine une oxydation abusive et une perte des arômes du vin jeune, les thiols volatils, ainsi qu’une érosion du potentiel de garde (effets sur les glutathions). Ces derniers sont aussi des composés oxydables. L’excès de bois entraine donc également une dégradation des arômes et des glutathions et est responsable du « premox » tant redouté dans les vins blancs.
L’étude de Valérie Lavigne détaille les effets de l’élevage en bois dans différentes barriques (neuves/usagées) et analyse aussi l’impact d’autres pratiques comme le soutirage et l’élevage sur lie. Elle étudie les trois principaux types d’arômes du sauvignon : les 3-mercapto-hexanol (arômes de pamplemousse), le sotolon (oxydation du vin), et le glutathion (protecteur du vin).
Le résultat de cette étude montre que la barrique usagée associée à un élevage sur lie apporte un résultat idéal au contraire de la barrique neuve soutirée où « le vin est mort avant d’être mis en bouteille », commente Denis Dubourdieu.
En outre, un excès de bois tend à masquer le caractère du vin, à le banaliser et à l’uniformiser. Ce qui a longtemps été encensé par les marchés de consommation est désormais considéré comme un défaut. Le bois masque le cépage certes, mais surtout son origine. C’est un effet paradoxal du bois: il est difficile de faire un grand vin sans bois, il apporte au vin sa « tenue de soirée » mais il faut donc que le bois soit parfaitement dosé pour maintenir des conditions d’élevage suffisamment réductrice pour consolider le potentiel de garde et maintenir la personnalité du vin.
L’importance du type de contenant est donc primordiale. C’est l’objet de l’étude de Valérie Lavigne qui porte sur les différents contenants et leurs effets sur les vins: inox et bois, influence des volumes, du batonnage. L’étude quantifie en fonction des choix d’élevage les arômes (thiols, cépage), les composés du bois et les protecteurs de l’oxydation (glutathions). À cette étude quantitative est associée une dégustation qualitative qui conclue et donne sens à la recherche.
Les résultats montrent que les meilleurs résultats d’un point de vue aromatique sont obtenus par la cuve en bois et les cuves inoxydables. La perte aromatique est majeure dans les barriques neuves, c’est particulièrement sensible pour les aromes fins de pamplemousse (3-MH et acétate de 3-MH) mais aussi pour le classique 4-MPP (buis, pipi de chat).
Le glutathion qui est un peptide aux propriétés réductrices remarquables a un comportement différent selon les types de contenants. Sa teneur est influencée par sa quantité initiale dans le raisin, par les modalités d’extraction, les conditions de fermentation du moût et les conditions d’élevage. Il est important de maintenir sa teneur au plus haut niveau surtout en fin d’élevage. Or, la barrique a un effet négatif sur les quantités de glutathion, et si celle-ci est soutirée, le glutathion tend à disparaitre complètement.
Dans cette étude, les composés du bois sont aussi analysés (eugénol, clou de girofle, vanilline, lactone ou coco). On note un comportement similaire des trois types de contenants (cuve en bois, barrique usagée, barrique neuve): le bois boise mais son effet est plus subtil en cuve, cela est remarquable au cours de la dégustation. Dans le cas de la barrique, la présence des composés boisés est plus flagrante.
La recherche est accompagnée d’une étude gustative qui classe les sensations de sucrosité. La sensation sucrée est supérieure dans la barrique neuve, moins marquée dans la barrique usagée et bien moins encore dans les cuves en bois ou en inox. Au cours de la dégustation comparative qui a réuni une vingtaine de dégustateurs, les échantillons ont été classés selon différents critères : l’intensité aromatique du sauvignon, la typicité et l’intensité du bois. Les résultats ont montré que c’est dans la barrique neuve que le cépage s’exprime le moins ; l’inox et la barrique usagée permettent une meilleure expression tandis que les meilleurs résultats apparaissent avec la cuve en bois.
En conclusion, cette étude démontre que les grands contenants en bois ouvrent de nombreuses opportunités pour l’élaboration de grands vins blancs, c’est la thèse soutenue par Valérie Lavigne qui a mené cette expérimentation. Et Denis Dubourdieu de partager ces conclusions qu’il explique mettre en pratique dans sa cave: « cela simplifie grandement les opérations d’élevage et les résultats sont charmants! » conclut-il.