L’émergence du sauvignon blanc boisé en Afrique du Sud, un vin net et frais
Le sauvignon blanc fait désormais l’unanimité parmi de très nombreux consommateurs à travers le monde. Christian Eedes, rédacteur-en-chef de Winemag.co.za, se penche sur la manière dont les producteurs sud-africains revisitent le cépage afin de le rendre plus complexe, et plus intéressant encore.
Même si le sauvignon blanc est apparu en Afrique du Sud dès la fin du 19ème siècle, il n’a véritablement commencé à faire parler de lui que vers la fin des années 1970/début des années 1980. Depuis longtemps, des vins tranquilles d’entrée de gamme élaborés par des producteurs-négociants de grande envergure dominaient la catégorie. Cette période a marqué un tournant : l’accent est désormais mis sur des vins de domaine qui donnent naissance à des cuvées plus qualitatives, aptes à exprimer un goût de terroir. Les superficies de sauvignon blanc ont alors fait un bond en avant : en 1990, elles s’étendaient sur 3 300 hectares pour passer à près de 9 250 ha en 2016, soit 9,6% du vignoble national.
Fait nouveau et passionnant au sein de la catégorie : l’émergence, ou plus précisément la réémergence, de sauvignon blanc boisé. Le phénomène du « Blanc Fumé » a marqué la fin des années 1990/début des années 2000, mais il a été de courte durée car le profil des vins a été, dans l’ensemble, mal conçu. Il avait tendance à exprimer ouvertement la verdeur qui caractérise souvent ce cépage, tout en affichant des doses généreuses de vanille et d’épices provenant de la barrique.
Les assemblages bordelais difficiles à commercialiser
En toute logique, la commercialisation de ces cuvées a été abandonnée mais, plus récemment, nous avons assisté à un recours plus judicieux au bois pendant la vinification avec moins de barriques neuves, de plus gros contenants et une chauffe plus légère. En résultent des vins que l’on pourrait comparer de manière pertinente aux vins de Graves à Bordeaux, du fait de leur précision et de leur équilibre.
Bien évidemment, les vins de Graves comportent typiquement une proportion de sémillon et l’Afrique du Sud a reproduit les assemblages bordelais blancs avec beaucoup de succès. Des cuvées comme Cape Point Vineyards Isliedh et Tokara Director’s Reserve White ont été unanimement salués sur le plan international. En revanche, il est de notoriété publique qu’ils sont très difficiles à commercialiser. L’ancien œnologue de chez Tokara, Miles Mossop, m’a confié par le passé que certains consommateurs trouvent que le goût ressemble trop à un sauvignon mono-cépage et ils ne comprennent pas, dès lors, pourquoi ils devraient les payer plus cher. A contrario, d’autres estiment que le profil gustatif ne se rapproche pas suffisamment d’un 100% sauvignon !
L’avantage du sauvignon blanc boisé, c’est qu’il permet aux vignerons d’augmenter la complexité des vins grâce à la fermentation et à l’élevage en barriques, tout en évitant des problématiques marketing.
En matière de vinification, il est généralement admis que le sauvignon blanc doit être vinifié en conditions réductrices lors de la fermentation en cuves. En revanche, la fermentation en barriques génère obligatoirement un milieu plus oxydatif et donne naissance à des vins plus résistants, dotés d’une capacité de garde. Par ailleurs, elle ajoute de la matière à des vins dont l’acidité est souvent élevée. Cela s’explique par le fait que la production de glycérol augmente lorsque les températures de vinification se situent dans une fourchette allant de 18°C à 24°C, contrairement à la fermentation en cuve dont la température varie entre 12 et 16°C.
Pourquoi les profils boisés gagnent de l’ampleur
Pour expliquer l’attrait croissant exercé par ce profil de vins sur les consommateurs, Wilhelm Pienaar, œnologue au domaine Hermanuspietersfontein près de la ville d’Hermanus qui élabore différents styles de sauvignon blanc boisés, propose une hypothèse. Il suggère que le recours au bois soit éventuellement envisagé comme un moyen « d’adoucir » un cépage parfois critiqué comme étant à l’origine de vins trop minces et acides. Il observe par ailleurs que le sauvignon boisé sert en quelque sorte « d’étape intermédiaire » entre le sauvignon non boisé – fruité et frais mais au final un peu simple même lorsqu’il est bien fait – et des cuvées plus complexes à base de chardonnay ou de chenin blanc.
Adam Mason de Mulderbosch se demande si la montée en puissance du sauvignon boisé ne reflète pas une certaine désaffection chez les consommateurs, las des sauvignons non boisés et en quête de profils aromatiques plus riches, munis d’une matière plus présente ; son 1000 Miles Sauvignon blanc 2015 est élevé pendant 15 mois dans des demi-muids neutres de 500 litres. « Espérons que cela se confirme ! » s’exclame-t-il, exprimant en filigrane une certaine exaspération face à l’obligation de produire à tour de bras des cuvées de sauvignon non boisé.
Tom Prior, responsable commercial chez Marianne à Stellenbosch estime, quant à lui, que le sauvignon blanc non boisé, lorsqu’il est élaboré de telle manière à faire ressortir des arômes et des saveurs extrêmement « verts », peut avoir une vraie prestance et susciter un véritable engouement. En revanche, les amateurs éclairés expriment souvent de la réticence envers ce type de profil et recherchent quelque chose de différent. A titre d’exemple, la cuvée Marianne 2016 incorpore 8% de sémillon et a été vinifiée et élevée pendant neuf mois en chêne français, dont 50% de bois neuf. Notons que la réglementation sud-africaine autorise les producteurs à ajouter jusqu’à 15% de sémillon sans avoir à le mentionner sur l’étiquette, une mesure dont bon nombre d’entre eux profitent.
Pierre Rabie, avocat de métier mais aussi producteur d’un beau sauvignon boisé baptisé Giant Periwinkle et élaboré dans un esprit garagiste, souligne enfin que si le sauvignon blanc vinifié en cuve est souvent perçu comme un vin de masse et donc peu valorisant, les déclinaisons boisées sont considérées comme étant moins industrielles. « Les grands connaisseurs peuvent se permettre d’aimer le sauvignon boisé ! »
Il semblerait donc qu’un cercle vertueux soit en train de s’installer autour du sauvignon blanc boisé : ce sont des vins avec plus de précision et d’ampleur qui, en outre, sont plus faciles à commercialiser que les assemblages sauvignon-sémillon. « Ils offrent la possibilité aux producteurs de mieux valoriser le sauvignon », estime Pierre Rabie. « Par conséquent, les raisins issus des meilleures parcelles leur sont réservés et au final les vins sont de meilleure qualité et donc susceptibles de susciter l’intérêt du public ».