« Le sauvignon blanc tranche avec les références gustatives des consommateurs, il est totalement unique »
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« Le sauvignon blanc tranche avec les références gustatives des consommateurs, il est totalement unique »
Luma Monteiro est responsable marketing chez Davy’s, à Londres, au Royaume-Uni. Disposant d’un réseau de 17 bars à vins dans toute la capitale, la société opère également une activité de négoce à travers Davy’s Merchants. Dégustatrice au Concours Mondial du Sauvignon, Luma gère également un compte Instagram très suivi baptisé Wineria. Ses différentes activités lui permettent de dialoguer directement avec les consommateurs et de glaner des informations précieuses sur leurs préférences et leurs aspirations.
Vous organisez des dégustations pour le compte de Davy’s à Londres. Quels sont les retours sur le sauvignon blanc ?
Encore aujourd’hui, la majorité des consommateurs achètent ou consomment des vins en fonction de ce qu’ils voient à la télévision ou sur la base de recommandations émanant de leurs proches. Beaucoup de gens boivent des vins issus de sauvignon blanc parce qu’ils reconnaissent le nom du cépage, sachant que la Nouvelle-Zélande a vraiment fait connaître cette variété sous un autre angle. Ils ont donc tendance à demander un sauvignon néo-zélandais. Il se peut même qu’ils ne sachent pas que le Bordeaux est à base de sauvignon blanc ! Je pense que pour les consommateurs n’ayant pas de grandes connaissances en matière de vins, le sauvignon blanc reste à un cépage facile à comprendre.
Quels profils de sauvignon sont les plus plébiscités à l’heure actuelle au Royaume-Uni ?
Par le passé, le Sancerre était plutôt incontournable, mais j’ai observé un revirement en faveur de la Nouvelle-Zélande et de certains profils sud-africains. Cela peut s’expliquer par le fait que cette catégorie de vins a tendance à être présente là où la plupart des gens achètent des vins, c’est-à-dire en grandes surfaces. Le sauvignon blanc néo-zélandais est très prisé par les consommateurs au Royaume-Uni. Rappelons que le positionnement prix du Sancerre ne correspond pas à celui du marché de masse.
« Ceux qui apprécient le sauvignon blanc savent pourquoi ils l’aiment, alors que ceux qui ne l’aiment pas, ne se rendent pas compte que le cépage s’exprime de différentes façons. »
Existe-t-il un positionnement prix idéal pour le sauvignon blanc ?
Le marché britannique est très sensible aux prix. À mon sens, un positionnement au-dessus de 15£ devient compliqué.
Les préférences en matière de profils des vins évoluent-elles ?
Depuis environ un an, les disponibilités de sauvignon blanc néo-zélandais sur le marché ont régressé. J’ai donc vu des gens s’orienter davantage vers d’autres pays du Nouveau Monde comme le Chili, beaucoup, et dans une moindre mesure vers l’Afrique du Sud. D’autres origines, notamment celles du Nouveau Monde sont de plus en plus plébiscitées. L’explication réside sans doute dans le fait que les profils des vins du Nouveau Monde ont tendance à se ressembler davantage. Il y a quelques mois, nous avons organisé une mise en avant du Bordeaux blanc, mais les gens ne le considèrent pas comme du sauvignon, ils le classent comme du Bordeaux blanc. Et on a beau leur expliquer que le cépage majoritaire est bien le sauvignon, ils persistent et signent – ils veulent du sauvignon blanc !
Avez-vous constaté certaines idées fausses autour du sauvignon blanc ?
Oui, je pense qu’il y en a, surtout en matière de dégustation. Récemment, nous avons organisé une dégustation avec un producteur sud-africain, The Valley de Nico Grobler, qui élabore un profil de sauvignon très différent. Il affiche moins d’arômes herbacés et s’apparente davantage au style européen. À mon sens, le sauvignon blanc est souvent associé à des arômes herbacés, végétaux, pipi de chat etc. Nous avons organisé une dégustation à l’aveugle et lorsque nous avons dévoilé ce nouveau profil, plus minéral, aux arômes moins typés sauvignon blanc, les participants ont été très surpris de retrouver du sauvignon blanc. Ils s’attendaient à autre chose. Ils affirmaient ne pas apprécier les saveurs herbacées typiquement associées au sauvignon blanc et ont trouvé cette cuvée extraordinaire. Ceux qui apprécient le sauvignon blanc savent pourquoi ils l’aiment, alors que ceux qui ne l’aiment pas ne se rendent pas compte que le cépage s’exprime de différentes façons. Donc, il ne fait aucun doute qu’il existe des idées reçues autour du goût du sauvignon blanc.
Assiste-t-on à une désaffection vis-à-vis du sauvignon blanc ?
J’ai constaté que les gens se forment de plus en plus et veulent mieux comprendre le vin. Plus on est averti, plus on a tendance à se détourner légèrement du chardonnay, du sauvignon blanc et des autres grands cépages. Mais pour le consommateur lambda, je ne vois pas de gros changements sur le marché. L’une des explications réside dans le fait que les gens aiment se sentir en sécurité. Moins on connaît le vin, plus on préfère rester dans sa zone de confort, même si cela n’empêche pas de changer de pays producteur. J’ai l’impression qu’ils ont plutôt tendance à faire varier les régions de production que le cépage lui-même, parce qu’ils connaissent ce dernier.
« J’aimerais qu’on me propose davantage de sauvignon blanc à des teneurs en alcool plus faibles. »
Comment les producteurs peuvent-ils continuer d’attiser l’intérêt en faveur du sauvignon blanc à l’avenir ?
D’un point de vue personnel, en tant que professionnel du vin, j’aimerais qu’on me propose davantage de sauvignon blanc à des teneurs en alcool plus faibles. Le monde entier se détourne des vins très alcoolisés, autour des 14%. C’est le premier élément dont les producteurs devraient être conscients. Il existe également certaines techniques de vinification, comme l’élevage sur lies, qui pourraient s’avérer intéressantes et apporter du relief en bouche au sauvignon blanc. Mais il me semble que toute évolution devrait rester à la marge parce qu’il ne faut surtout pas écorcher la beauté du cépage. Je trouve qu’un peu d’élevage sur lies serait intéressant. En revanche, l’élevage sous-bois ne me semble pas approprié. À mon sens, les saveurs apportées par le bois ne correspondent pas au sauvignon blanc et je ne trouve pas que cela sublime le cépage. Au départ, la Nouvelle-Zélande proposait un profil très commercial, très puissant avec beaucoup d’arômes de fruits de la passion etc. Désormais, j’ai l’impression qu’ils recherchent davantage de subtilité, des profils plus élégants. Je pense qu’ainsi, ils éviteront aux consommateurs de s’en lasser du point de vue gustatif. Les styles élégants sont plus intemporels et s’associent mieux à la gastronomie, ce qui permet de les commercialiser ailleurs qu’en grandes surfaces.
Quels éléments de différenciation devraient être mis en avant pour le sauvignon blanc ?
Tout d’abord, son expression variétale, qui est très intéressante. Le sauvignon blanc tranche avec les références gustatives des consommateurs, il est totalement unique. Deuxièmement, la capacité du sauvignon à s’adapter à des terroirs aussi bien dans le Nouveau que dans l’Ancien Monde. Cela permet d’apporter le côté origine. Il faut également raconter l’histoire du vin, surtout s’il s’agit d’un vin élaboré dans un esprit peu interventionniste, qui attire de plus en plus d’adeptes. Je ne veux pas dire vin nature, mais plutôt peu interventionniste. Si l’histoire du producteur fait la part belle aux pratiques durables, cela attire les consommateurs. Conjuguées au profil des vins, et éventuellement à des changements mineurs au niveau des techniques de vinification, cet engagement ajoute une dimension supplémentaire à l’histoire, non seulement pour le sauvignon blanc, mais pour tous les vins, évidemment. Pour revenir à la Nouvelle-Zélande, leur impact sur le marché est tout simplement remarquable. On peut y voir un parallèle avec ce qu’a réussi à faire le prosecco. Les Néo-Zélandais ont modifié la perception d’un cépage et d’un profil de vin. C’est impressionnant, mais je pense que le défi que la Nouvelle-Zélande devra relever à l’avenir résidera dans sa capacité à commercialiser des vins à des positionnements prix supérieurs à 10£ la bouteille. Certains producteurs lancent désormais des cuvées parcellaires, positionnées pour partie autour des 30-35£, mais ils peinent à les vendre. Le seuil psychologique s’est fixé à 10£. Il est intéressant de noter d’ailleurs que le prosecco rencontre les mêmes problèmes, y compris dans le haut de gamme. C’est un risque qu’on prend lorsque l’on acquiert sa notoriété grâce à un seul profil de produit.
Sharon Nagel