Le cœur et la raison : l’histoire d’un domaine ancestral entré dans une nouvelle ère
Environ 10% de la superficie mondiale de sauvignon blanc se trouve en Afrique du Sud. Christian Eedes s’est rendu à l’éminent domaine Diemersdal pour mieux connaître son approche du cépage en compagnie de son œnologue Thys Louw.
Durbanville est une ville de la province du Cap-Occidental en Afrique du Sud, à environ une demi-heure de route au nord-ouest du quartier central des affaires du Cap. La ville devient de plus en plus urbanisée, le nombre de personnes cherchant à vivre et à travailler dans sa grande région métropolitaine allant croissant. Néanmoins des domaines viticoles établis de longue date continuent d’exister dans sa périphérie immédiate. Pour résister à l’urbanisation, les agriculteurs n’ont pas d’autre choix que de donner le meilleur d’eux-mêmes en permanence. Diemersdal est une exploitation de Durbanville qui a été habilitée pour la première fois en 1698. Son antériorité viticole remonte quasiment au même moment, comme en atteste un inventaire datant de 1706, qui mentionne l’existence d’un pressoir, de barriques et de bouteilles. La propriété appartient à la famille Louw depuis 1885 et l’actuel œnologue, Thys, représente la sixième génération à travailler cette terre. Cela étant, la priorité donnée au vin par les Louw est une décision récente. Avant l’arrivée à la tête du domaine de Tienie Louw, propriétaire actuel et père de Thys, Diemersdal était en polyculture et le vin était vendu en vrac pour être élevé ailleurs jusqu’à la fin des années 1980. Dès lors, la production a augmenté petit à petit, jusqu’à ce que Thys rejoigne la propriété à temps plein en 2006. Une mutation profonde s’est alors opérée….
Aujourd’hui, la famille gère 200 ha de vignes en propre, auxquelles s’ajoutent 130 ha en fermage longue durée. L’éventail de vins proposé a beau être étendu, la renommée du domaine repose surtout sur son sauvignon blanc, en grande partie à cause de sa proximité de l’océan Atlantique et des brises rafraîchissantes qui balayent le vignoble. Sur une superficie totale de 330 ha, 140 ha accueillent le sauvignon, épine dorsale des dix cuvées monovariétales englobant une large gamme de prix. Lorsque Thys a rejoint Diemersdal il y a 12 ans, la production totale de sauvignon s’élevait à 15 000 bouteilles, contre 1,5 million actuellement.
Le sauvignon de plus en plus en vogue
L’attachement de Diemersdal pour le sauvignon est en partie le fruit d’une coïncidence. Au milieu des années 2000, le sauvignon blanc venait tout juste d’entrer en vogue en Afrique du Sud. Depuis, sa popularité n’a cessé de croître. « Les consommateurs apprécient ce cépage pour sa grille de lecture facile caractérisée par des arômes explicites et ses fruits généreux. Cette simplicité accentue leur confiance car ils veulent savoir ce qu’ils achètent « , affirme Thys Louw. Selon lui, ce dernier a également du sens du point de vue commercial en raison de ses rendements très corrects (8 à 12 tonnes à l’hectare) sans que cela nuise à la qualité. Sans oublier que seules quelques régions sud-africaines bénéficient des conditions climatiques susceptibles d’assurer de beaux résultats. Thys Louw explique que Diemersdal est cultivé sans irrigation et insiste sur le fait que cette méthode devrait toujours s’imposer. « Dans les zones arides, les racines de la vigne atteignent entre quatre et cinq mètres de profondeur alors qu’avec le goutte-à-goutte, elles se concentrent autour de la source d’eau. Il précise par ailleurs que, si les producteurs sud-africains ont tendance à focaliser leurs investissements sur leurs outils de vinification, l’accent à Diemersdal est mis sur le traitement des vignes pour optimiser les résultats des analyses du sol. Ainsi, l’épandage à la chaux pour augmenter le pH est effectué tous les trois ou quatre ans à l’aide du GPS.
Un profil de sauvignon pour tous les goûts
Malgré l’important patrimoine agricole de sa famille à Durbanville, Thys Louw ne perd jamais de vu l’aspect commercial. « Les consommateurs internationaux restent perplexes quant à l’origine Afrique du Sud, sans parler de ses sous-régions. Je n’ai pas de vision sentimentale sur la mention de Diemersdal sur l’étiquette car le nom est trop difficile à prononcer », dit-il. Pour preuve, parmi ses cuvées les plus réussies à l’exportation figure le Leaf Plucker Sauvignon Blanc légèrement boisé, du nom du mouton qui parcourt les vignobles au début de l’été, en réalisant un travail naturel d’effeuillage. La production de cette cuvée s’élève à 400 000 bouteilles. Le vin est élevé pendant trois mois à hauteur de 10% dans de vieux demi-muids de 500 litres, le restant sur des douelles. Son prix de vente dans les supermarchés du Royaume-Uni avoisine 7.99£ la bouteille.
Faisant preuve d’un esprit d’innovation sans faille dans le domaine du sauvignon blanc, en 2017 Thys Louw a lancé une nouvelle cuvée prénommée « Winter Ferment ». Il s’agit d’un jus de presse maintenu à -20° C puis décongelé à l’issue de quatre mois, entraînant une augmentation massive des thiols, autrement dit les composés chimiques qui donnent naissance aux arômes de fruits exotiques dans le sauvignon. Résultat : un vin qui manque peut-être de subtilité, mais qui a réussi à séduire à la fois critiques et consommateurs. Pour les amateurs du cépage, Louw élabore deux vins de haut vol à partir de la même parcelle plantée en 1982. Le premier s’intitule MM Louw. Vinifié et élevé pendant 11 mois en fûts de chêne français, neufs à raison de 40 à 50%, ce vin se caractérise toujours par sa puissance et démontre bien que le sauvignon peut s’exprimer autrement que par un profil léger et frais. Son alter ego se prénomme Wild Horseshoe, du nom des fers à cheval qui sont régulièrement déterrés sur l’exploitation. La technique de la macération pelliculaire est employée pendant quatre jours. Ce vin d’une immense complexité s’adresse aux « geeks », et si Louw est le premier à admettre que le sauvignon blanc peut servir de « vache à lait », il est aussi particulièrement conscient du fait qu’avec un traitement approprié, il peut donner des vins d’une profondeur indéniable.