De Sancerre à Marlborough
Comment le sauvignon blanc a amené la famille Bourgeois à l’autre bout du monde
Sans doute, l’une des principales conditions requises pour cultiver la vigne et élaborer du vin, c’est d’être curieux. Mais tous les vignerons ne choisissent pas de mettre leur curiosité et leurs compétences à l’épreuve de l’autre côté du monde. Malgré une longue réputation viticole à Sancerre, la famille Bourgeois a choisi la Nouvelle-Zélande comme banc d’essai. Sharon Nagel a demandé à Arnaud Bourgeois d’expliquer pourquoi ils ont parcouru près de 20 000 kilomètres pour planter du sauvignon blanc.
Leur quête ne s’est pas faite en un jour. Bien au contraire, il aura fallu douze ans de périples aux quatre coins du globe pour enfin trouver le lieu qu’ils considéraient comme étant le plus propice à la culture de leur cépage phare, le sauvignon blanc, accompagné du pinot noir. « En Nouvelle-Zélande, il y avait une sorte de pureté, un côté très sauvage qui nous a attirés très fortement, sans parler de l’aspect climatique », explique Arnaud Bourgeois. Certes, la viticulture nécessite un apprentissage sans cesse renouvelé, constamment soumis aux aléas climatiques, mais dix générations d’expérience à Sancerre ont poussé la famille à vouloir partir à la recherche de nouveaux horizons. Le choix de Marlborough s’est imposé en raison de son microclimat et de son terroir unique. « L’endroit où nous nous sommes implantés est un croisement de plusieurs anciens glaciers qui créent une composition avec trois terroirs différents », précise Arnaud Bourgeois. En 2000, la famille a acheté une superficie totale de 98 hectares situés dans les contreforts sud de la vallée de Wairau, dont 45 hectares sont actuellement en production et une vingtaine d’autres devraient être plantés au cours des deux prochaines décennies. « Les vignes sont d’un seul tenant, mais sur plusieurs lieux et nous avons une faille séismique qui partage la propriété en deux avec des sols très différents ».
Adapter les techniques françaises
Pour une famille qui exploite plus de 100 parcelles disséminées sur l’ensemble du vignoble sancerrois, cette diversité de terroirs est un atout indéniable qui lui permet de reproduire son approche de vinification parcellaire. La famille a fragmenté les 45 hectares en une quinzaine de blocs, de la même manière qu’elle l’avait fait à Sancerre, mais au fil des ans, l’expérience sur le terrain l’a parfois amené à explorer des pistes différentes : « Il nous arrive de faire un assemblage lorsqu’on y trouve un intérêt, notamment lorsqu’il s’agit des argiles – Broadbridge et Wither – qui ont une complémentarité intéressante. Il y a un terroir de galets roulés qu’on appelle le Greywacke – c’est l’ancien lit de la rivière – et là, on ne fait pas de croisements, car il s’agit d’un terroir tout à fait différent ». Inévitablement, les techniques employées à Sancerre et les connaissances glanées au fil des siècles ont dicté leur approche les premières années. « Une connaissance du sauvignon blanc et du pinot noir avec leurs caprices respectifs, la recherche d’une dimension supplémentaire du cépage – c’est-à-dire pas uniquement l’aspect fruité, des arômes primaires, mais bien des arômes plus complexes – et les équilibres, ce sont autant d’expériences qui nous ont permis de faire évoluer l’exploitation en Nouvelle-Zélande. Il y a bien des aspects qu’il faut avoir expérimentés pour éviter de faire des erreurs ». Il en est ainsi pour la taille : « À Sancerre, nous avons été sensibilisés assez tôt aux maladies du bois et donc en Nouvelle-Zélande, nous avons fait attention aux plaies de taille, aux flux de sève ». Clos Henri Vineyard travaille avec deux baguettes alors que l’ensemble du vignoble à Marlborough est plutôt sur quatre baguettes, et le domaine pratique aussi l’ébourgeonnage : « Nous sommes sur un ébourgeonnage systématique, de la recherche d’un rendement inférieur », affirme-t-il.
Maîtriser les problèmes de maturité
À la surprise des vignerons locaux, la famille Bourgeois a également choisi de la haute densité de plantation, favorisant des densités de l’ordre de 5 500 pieds à l’hectare, contre la norme locale de 2 000. « Les Néo-Zélandais sont très pragmatiques dans leur approche et ils nous ont demandé comment on allait trouver le matériel avec des écartements de rang plus petits que la norme chez eux. Il fallait qu’on leur explique que ce n’était pas limitatif pour nous et qu’on trouverait les engins ». Des densités de plantation plus élevées entraînent également une concurrence entre les pieds de vigne, pour aller chercher l’humidité, dans l’objectif d’éviter l’irrigation. « Ils n’ont pas compris non plus pourquoi on ne voulait pas irriguer ! » Mais au fil des ans, l’expérience a commencé à fonctionner dans les deux sens. « Ce que nous avons appris, c’est d’être beaucoup plus précis dans la dégustation des baies de raisin au moment des vendanges puisque là-bas, le rythme d’évolution des maturités est assez différent. On peut passer de la pyrazine aux thiols d’une manière assez brutale et on peut tomber dans les terpènes rapidement également. La façon dont on décide de la date des vendanges est beaucoup basée sur la dégustation approfondie des baies des raisins dans chacune des parcelles. Pour ne pas rater le coche, et parce qu’on ne souhaite pas être sur le côté pyrazine et pas nécessairement sur le côté terpène, avec un risque de plus d’avoir des degrés alcooliques importants, la dégustation est importante ». Le vignoble du Clos Henri est assez loin de la mer qui sépare les deux îles et un peu plus frais, avec des différences de température notamment entre le jour et la nuit. « On a donc des maturités aromatiques et des maturités technologiques différentes, mais qui vont se faire très lentement, ce qui va permettre aux arômes de bien évoluer et donc de mûrir à un rythme supérieur à l’évolution de la concentration en sucres. On peut donc récolter nos raisins à une maturité aromatique bonne, sans avoir des vins qui feront par la suite 15% d’alcool ».
Tester l’agriculture biologique
Autre enseignement majeur apporté par l’expérience de Clos Henri, et transposée depuis à Sancerre : le passage à l’agriculture biologique. « C’était quelque chose qu’on pratiquait du bout de nos membres ici à Sancerre, mais le fait d’avoir un terroir là-bas beaucoup plus propice à la culture bio nous a permis de « nous faire la main » et de mieux comprendre la manière dont on devait appréhender la culture bio avant de l’appliquer à Sancerre. Ça a été donc, un peu, un laboratoire pour nous ». Outre l’intérêt de découvrir une approche viticole nouvelle en Nouvelle-Zélande, il y avait aussi des implications commerciales. « Nous sommes allés en Chine présenter nos vins de Sancerre à la fin des années 90 déjà. Les réactions qu’on pouvait avoir de ceux qui se prédestinaient à être des professionnels chinois nous montraient que les premières dégustations étaient difficiles sur des terroirs où il pouvait y avoir une minéralité prononcée comme le silex. Je pense que la production de vins du Clos Henri a ouvert, sans doute, l’esprit sur le fait que notre production néo-zélandaise est différente de celle de nos collègues et aide à comprendre notre approche à Sancerre, et la différenciation des terroirs qu’on y trouve ».
Un apprentissage à double sens
Mais comment les vignerons de Marlborough ont-ils réagi à la présence d’homologues français parmi eux ? « L’accueil a été excellent », se réjouit Arnaud Bourgeois, qui invite chaque année au 14 juillet les vignerons de la région à une fête de la Bastille au Clos Henri Vineyard. « On est venu avec nos bouteilles, on leur a expliqué comment on travaillait à Sancerre et notre style de vins et qu’on cherchait à comprendre ». Pour une région viticole d’une antériorité d’à peine quarante ans, sans doute y avait-il aussi le sentiment d’être conforté dans l’idée qu’ils avaient choisi le bon endroit pour cultiver la vigne. Pour la famille Bourgeois, l’expérience s’est avérée être une révélation. « On rencontre des producteurs qui sont très réactifs, très à l’écoute, courageux, très ouverts et créatifs, car il a fallu qu’ils soient plus ingénieux que dans n’importe quel autre pays du monde, car loin de tout ». Arnaud Bourgeois fait également l’éloge de leur vision à 360° du secteur du vin. « La viticulture est très bien organisée, aussi bien au niveau de la production que pour la partie marketing et commerciale. S’ils ont pu s’imposer sur la scène internationale c’est bien sûr par la qualité et la constance, mais aussi par la manière dont ils ont fait découvrir leur production à travers le monde ». À ce titre, il déplore la réticence de la France à mettre en valeur ses principaux atouts, mais aussi la manière dont la production et la commercialisation sont déconnectées. « Parfois, nous arrivons à nous prendre les pieds dans le tapis que nous avons posé nous-mêmes ! À force de vouloir être limitatifs, encadrants, on arrive à ne pas diffuser un message très clair au consommateur, alors que la volonté première, c’était l’inverse. Les Néo-Zélandais ne sont pas en train de se traîner ce boulet-là ».
Un nouveau chapitre dans l’histoire de Marlborough
En dehors de leurs conditions climatiques assez similaires, Sancerre et Marlborough partagent aussi une propension à produire des sauvignons blancs frais et minéraux. Aux côtés des acteurs majeurs qui ont assuré la reconnaissance mondiale de Marlborough, de nombreux petits vignerons ont à cœur d’écrire le prochain chapitre de l’histoire viticole de la région. « Ces producteurs sont sensibles à une évolution qualitative et réfléchissent à la manière de faire reconnaître le terroir de Marlborough, autre que ce qui est connu aujourd’hui ». La flexibilité offerte par le sauvignon blanc sera très certainement déterminante pour assurer la transition vers la prochaine phase de développement de la région. « Nous nous sommes rendu compte que le sauvignon blanc a une telle élasticité dans son style, notamment par rapport à ce qu’on peut faire à Sancerre, qu’on a voulu passer à l’acte 2 en ce qui nous concerne, en créant une version qui n’allait pas forcément être ce qui existait déjà parce qu’on savait qu’elle allait évoluer ».
La complexité du sauvignon blanc néo-zélandais, les styles émergents, les pratiques viticoles, les influences œnologiques et l’avenir du cépage seront explorés du 28 au 30 janvier dans la région de Marlborough lors du Sauvignon 2019.