Comment se présente le marché mondial du sauvignon blanc en 2022 ?
L’ascension fulgurante du sauvignon blanc en Nouvelle-Zélande ces dernières années n’était en réalité que l’arbre qui cachait la forêt. Dans le monde entier, la filière a su optimiser le potentiel d’un cépage apte à séduire les consommateurs, et à faire progresser son rayonnement international.
Cependant, en 2021 la météo en a décidé autrement. D’abord dans l’Hémisphère sud, où elle a obligé la Nouvelle-Zélande à marquer une pause dans sa trajectoire, puis dans l’Hémisphère nord, où la France, berceau du sauvignon, ains que d’autres pays producteurs, ont subi des pertes dévastatrices. Même si les vins n’ont pas encore été mis sur le marché, la région française du Centre-Loire – dont les appellations font la part belle au sauvignon – a vu sa production chuter de 30%, à cause des conditions météorologiques en 2021. Il n’y a jamais de bon moment pour subir une baisse aussi significative, mais la chute des volumes a coïncidé avec la montée en flèche des ventes : « 2021 était une année très positive parce qu’on sort à quasiment +12% par rapport à 2019, notre année de référence. La demande est toujours très importante », explique Edouard Mognetti, directeur du Bureau interprofessionnel des vins du Centre-Loire (BIVC). En toute logique, cette hausse a été partiellement alimentée par la volonté des acheteurs de se prémunir contre le manque prévisible des volumes. « Ce n’est pas la raison principale de l’embellie », insiste Edouard Mognetti. « La raison principale c’est parce qu’on a une filière qui est très résistante, avec des appellations de très bonne qualité et un modèle vigneron qui a fait ses preuves, des appellations à plus ou moins forte notoriété, mais globalement de belle notoriété. C’est surtout le fruit de ce modèle-là ». La baisse des volumes en 2021, conjuguée à la flambée des coûts de production, liée au transport, aux matières sèches, à l’inflation et à l’énergie, pour ne citer qu’eux, entraînera inévitablement une hausse des prix. « On est sur la loi du marché et comme il y a une demande importante, on voit logiquement les prix augmenter. Je ne pense pas que cela explose non plus, mais on voit des prix progresser entre 5 et 20% ». Et jusqu’à présent, les acheteurs se montrent plutôt compréhensifs : « Les hausses de prix, à mon sens, sont justes et raisonnables d’un point de vue global et par rapport à ce qu’on voit ailleurs. Et elles sont justifiées donc aujourd’hui il n’y a pas de crainte de perdre des marchés ».
Casse-tête à court terme, mais bénéfices à long terme en Nouvelle-Zélande
Reste à savoir si, de son côté, la pénurie de sauvignon blanc néo-zélandais en 2021 entraînera une substitution permanente des références sur les marchés. Certes, le millésime 2021 a donné du fil à retordre aux vignerons néo-zélandais, mais ils pourraient bien tirer profit de leur expérience à long terme. « Dans chaque cave, on savait avant les vendanges qu’il allait falloir mettre en place une sorte de système d’allocation », explique Marcus Pickens, directeur de Wine Marlborough. « Je pense que cela a obligé les producteurs à revoir leur clientèle et à définir quelles étaient les véritables relations à long terme, puis à soutenir ces opérateurs en priorité. Et dans le même temps, ils ont éliminé certains partenariats de moindre importance générant de faibles marges ». Cette stratégie ne sera sans doute pas exceptionnelle : « Marlborough est presque entièrement planté. Que se passera-t-il à l’avenir, comment allons-nous valoriser des vins devenus plutôt rares ? » En attendant, la filière néo-zélandaise a les yeux rivés sur le millésime 2022, qui s’annonce, pour le moment, prometteur. « Cela s’annonce bien mieux que l’année dernière. La production semble légèrement plus importante que la moyenne à long terme. C’est donc un grand soulagement. Je pense que cette année, les volumes seront bons, notamment pour le sauvignon blanc », se félicite Marcus Pickens.
Des stocks au plus bas
Mais les producteurs de Marlborough ne pourront souffler que lorsque tous les raisins seront rentrés dans les caves. « La saison a été difficile. Marlborough a certainement reçu beaucoup plus de précipitations que d’habitude. Au moins nous n’avons pas eu de problèmes d’irrigation. Le niveau d’humidité dans le sol est particulièrement bon, mais nous sommes arrivés à un stade où nous ne voulons plus de pluie ». Et ce ne sont pas que les nuages que scrutent les producteurs : la pénurie de main-d’œuvre provoquée par le Covid est à son comble, la filière étant confrontée à d’énormes incertitudes dans un contexte où les frontières restent plus ou moins fermées et que la vague d’infections au variant Omicron submerge le pays. Là aussi, les difficultés conjoncturelles pourraient susciter une réflexion à long terme sur la manière dont le secteur recrute du personnel, attire des effectifs néo-zélandais, les forme et les retient. De manière plus pressante, les opérateurs doivent accélérer la mise en marché du sauvignon blanc 2022 : « En général, il y a toujours une réserve, pour permettre aux caves d’approvisionner leurs clients jusqu’à ce que le prochain millésime soit disponible à la vente, donc pendant la période d’avril, mai et juin. Mais je pense que suite à la récolte 2021, une grande partie de ces vins ont été commercialisés avant même que les vendanges ne débutent. Nos stocks sont donc au plus bas », concède Marcus Pickens. Cela confirme le sentiment actuel du côté des producteurs sud-africains : « Nous savons que, même si les vendanges s’annoncent meilleures cette année en Nouvelle-Zélande et qu’elles reviennent à la normale, les volumes ne vont pas simplement remonter au niveau où ils étaient avant », estime RJ Botha, chef de cave chez Kleine Zalze à Stellenbosch et président de l’association Sauvignon blanc SA.
Une plus grande aisance stylistique en Afrique du Sud
L’Afrique du Sud a indéniablement récolté les fruits de la baisse de la production néo-zélandaise. « 2021 a été une année extraordinaire pour le sauvignon blanc sud-africain », se réjouit RJ Botha. « La demande en faveur du sauvignon blanc sud-africain est très soutenue et je ne pense pas qu’il reste du sauvignon blanc du millésime 2021 dans les caves sud-africaines ». Le sauvignon blanc étant toujours aussi plébiscité sur le marché britannique, les exportateurs sud-africains ont comblé le vide laissé par la Nouvelle-Zélande. Un succès éphémère? « Les acheteurs estimaient que les consommateurs buvaient du sauvignon blanc néo-zélandais parce qu’ils voulaient du sauvignon blanc néo-zélandais. Mais quand les vins étaient en rupture de stock pendant près de douze mois, ils se sont rendu compte que les consommateurs se sont tournés vers le sauvignon blanc sud-africain avec autant de facilité. Ils maintiennent donc nos référencements. Sans doute qu’il y aura quelques cas où les acheteurs les remplaceront à nouveau, mais je pense que la majeure partie des vins continuera à être référencée ». De là à considérer le sauvignon blanc sud-africain comme un simple succédané, une solution de rechange lorsque d’autres pays producteurs à plus forte notoriété connaissent des revers, il n’y a qu’un pas, qu’il ne faudrait surtout pas franchir. En réalité, le développement du rayonnement international du sauvignon sud-africain a incité ses producteurs à s’affirmer davantage en termes de profil des vins. « Pendant très longtemps, nous avons essayé d’imiter le style du sauvignon néo-zélandais », reconnaît RJ Botha. « Mais je pense que depuis deux ou trois ans, nous nous sommes rendu compte qu’en réalité, nos profils intrinsèques et nos terroirs à sauvignon blanc exceptionnels transcendaient cette vision. Le champ des possibles est vaste, et tant les Sud-Africains que le monde entier l’ont constaté. Nous nous sentons donc beaucoup plus à l’aise avec nos profils de sauvignon blanc désormais. Chaque région apporte une composante différente au cépage ».
Le sauvignon comme moteur de diversification variétale
Cette nouvelle identité encourage les plantations de sauvignon blanc, qui s’inscrit ainsi à contre-courant de la tendance nationale vers une diminution de la superficie du vignoble. Le sauvignon blanc a acquis un positionnement qui lui est propre au sein du secteur vitivinicole sud-africain, ce qui est de bon augure pour son avenir : « Le sauvignon blanc est le principal cépage conditionné exporté par l’Afrique du Sud. Il est également le mieux valorisé parmi les cépages sud-africains, ce qui en fait une catégorie ou une marque à part entière. Avec l’augmentation des plantations, je pense que les Sud-Africains ont compris que nous devions rééquilibrer notre encépagement, qui favorise trop les variétés à haut rendement comme le colombard ou le chenin. Planter du sauvignon blanc représente l’une des stratégies pour y parvenir ». Le sauvignon n’est pas uniquement plébiscité par les vignerons en Afrique du Sud. « Le sauvignon blanc occupe désormais le premier rang de l’encépagement en Styrie », détaille Stefan Potzinger, vigneron styrien et président des vins styriens en Autriche. « C’est le cépage le plus répandu et de loin le plus réussi ».
Une adéquation parfaite en Styrie
À l’instar d’autres pays producteurs, l’Autriche a proposé une alternative aux acheteurs de sauvignon néo-zélandais en 2021, ouvrant ainsi de nouveaux marchés dans des pays comme la Suède et le Danemark. Mais pour Stefan Potzinger son succès est à attribuer à d’autres facteurs : « Le sauvignon blanc de Styrie commence tout juste à être « découvert » au niveau international et connaît donc un essor considérable ». Certes, une petite récolte en 2021 – « la plus petite qu’aient rentrée les caves depuis 2016 » – a provisoirement mis ses ambitions internationales en pause, mais le haut niveau qualitatif des cuvées 2021 est de bon augure. « Une météorologie optimale a donné des raisins très sains avec beaucoup de saveurs, de sucre et d’acidité », décrit le vigneron styrien. Et de préciser que, malgré cette qualité, les augmentations de prix ne seraient que « très modéré » cette année. Au-delà du millésime 2021, l’avenir s’annonce radieux pour la région : « Le sauvignon blanc est un cépage qui convient parfaitement à notre climat, qui est connu sur le plan international et qui se marie merveilleusement bien avec les mets légers », souligne Stefan Potzinger. Pour ce dernier, les vignerons styriens viseront sans doute à commercialiser leurs vins plus tardivement à l’avenir, à les laisser plus longtemps sur les lies et à proposer des cuvées affichant davantage de profondeur.
Digressions variétales
L’avenir du sauvignon passe par différentes stratégies, et les idées ne manquent pas. En témoigne, le domaine chilien Casa Marin, dont le portefeuille englobe des cuvées issues du cépage sauvignon gris. « C’est un vin compliqué, difficile à commercialiser et un cépage hors des sentiers battus », reconnaît Alejandra Vargas, responsable marketing au sein de cette cave localisée dans la vallée de San Antonio. « Mais comme nous avons eu un beau succès avec notre sauvignon blanc et notre riesling, cela nous a progressivement ouvert des portes, encourageant nos clients à découvrir de nouvelles références ». Seules quatre caves chiliennes commercialisent du sauvignon gris – manque de bon matériel végétal oblige – mais selon Alejandra Vargas, les sommeliers et restaurants gastronomiques sont au rendez-vous. « Les amateurs de vins en raffolent, non seulement parce que le vin est bien élaboré, mais parce qu’il s’agit d’un cépage rare, typé et peu ordinaire, donc il apporte une bouffée d’oxygène ». Très aromatique, le sauvignon gris aux arômes épicés s’accommode bien de la fermentation en barrique pratiquée à Casa Marin, lui conférant structure et complexité : « Le bois atténue l’intensité aromatique et lui apporte de la complexité, pas tant au niveau aromatique qu’en bouche. Il amène une patine et de la structure, toujours avec équilibre et finesse ».
Le Chili, le pays aux multiples talents
Plus globalement, le Chili a surtout marqué des points avec son sauvignon blanc, une réussite qu’Alejandra Vargas attribue notamment à la diversité des terroirs chiliens, qui permet aux producteurs de proposer des vins à tous les prix et pour tous les goûts. Les perspectives pour la récolte 2022 sont bonnes, tant du point de vue de la qualité que de la quantité. « La production de sauvignon blanc devrait être du même ordre de grandeur en volume que celle de 2021 et à mon sens, la qualité sera bien meilleure », prédit Marco Adam, qui représente la société de courtage international Ciatti à Santiago. Un mois de janvier plus frais cette année aura sans doute minimisé l’exposition des raisins à la chaleur et sublimé les arômes, ce qui ne saurait qu’être positif pour la commercialisation des vins. La demande reste soutenue au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et en Europe continentale, permettant au Chili d’obtenir une reconnaissance mondiale pour son sauvignon blanc, avec une belle valorisation à la clé. « Le sauvignon blanc chilien en vrac issu de terroirs frais a atteint des prix historiquement élevés de 1,5 dollar US il y a plusieurs années. Plus récemment, les plus chers sont montés à 2 $ pour passer désormais à 3 $. Il en est de même pour les vins conditionnés. Ce positionnement reste inférieur à celui de la Nouvelle-Zélande, mais le Chili gagne sans nul doute en notoriété et la catégorie progresse en volume ». Si le Chili n’a pas réussi à s’engouffrer dans la brèche volumique creusée par la Nouvelle-Zélande en 2021, il ne fait aucun doute que ses terroirs riches et propices à la culture du sauvignon, sa qualité constante, son positionnement prix compétitif et ses méthodes de vinification soignées sont autant d’atouts qui permettent à la filière vitivinicole chilienne d’envisager un avenir serein pour le sauvignon. Comme le martèle Alejandra Vargas, « ce message doit être désormais porté aux quatre coins du globe ».
Quel que soit le pays concerné, et qu’il s’agisse de vins de terroir, de cuvées vinifiées sous bois, de profils minéraux ou bien des multiples déclinaisons fruitées ou herbacées, le sauvignon blanc surfe sur la vague de popularité des vins blancs. Et comme les vendanges 2022 laissent entrevoir une qualité exceptionnelle et de bons volumes, cette vague n’est pas prête de se briser.