Un véritable engouement pour le sauvignon blanc en Afrique du Sud
Selon Tim James dans son excellent livre « Wines of the New South Africa – Tradition and Revolution » (University of California Press, 2013), l’implantation du sauvignon blanc en Afrique du Sud est difficile à dater. En revanche, l’on sait avec certitude qu’il a été cultivé à Groot Constantia à la fin des années 1880 et d’après certaines sources, y a trouvé un terroir de prédilection. Il aura fallu ensuite attendre près de 100 ans pour que l’attention se focalise de nouveau sur le sauvignon blanc. Le premier sauvignon mono-cépage commercialisé dans le pays émanait d’une propriété appelée à l’époque Verdun, devenu Asara. Lancé en 1977, il a fait beaucoup d’émules au cours de la décennie suivante. Il est intéressant de noter que bon nombre des premières cuvées de sauvignon étaient légèrement boisées, incitant Tim James à émettre l’hypothèse selon laquelle ce style « reflétait probablement l’espoir que le sauvignon puisse remplir le rôle du chardonnay », qui était encore peu présent en Afrique du Sud.
Pour mieux comprendre la cote actuelle du sauvignon blanc dans l’univers des vins sud-africains, il est utile de rappeler certains faits marquants de l’histoire récente du pays. Le 11 février 1990, Nelson Mandela a été libéré de la prison Victor Verster à Paarl, précipitant ainsi la transition de l’Afrique du Sud vers la démocratie.
L’ensemble des secteurs économiques du pays a entamé alors une mutation profonde. Le secteur vitivinicole n’était pas en reste : alors qu’auparavant, il était extrêmement réglementé et sous l’emprise de la toute puissante coopérative KWV, il allait subir une transformation majeure, donnant naissance à quelques gros acteurs ciblant un marché de masse ainsi qu’à une multitude de producteurs de niche. Sur les 564 caves qui ont élaboré du vin en 2013, 493 d’entre elles étaient des caves particulières, 50 des caves coopératives et 20 des grossistes producteurs.
Troisième cépage blanc
Le vignoble national s’est également métamorphosé. Tandis qu’en 1999, les cépages blancs représentaient 71% des superficies contre 29% de rouges, cinq ans plus tard, ce ratio est passé à 54 : 46 ; il a peu évolué depuis. Malgré ce revirement, l’heure du sauvignon blanc était arrivée, les superficies passant de 3 300 ha en 1990 à 4 771 ha en 1997, puis à 9 321 ha à la fin 2013, soit 9,3% du vignoble national ; il constituait alors le troisième cépage blanc le plus répandu après le chenin blanc et le colombard.
L’engouement en faveur du sauvignon blanc (et son utilité comme générateur de trésorerie) est tel qu’il est cultivé dans la quasi-totalité des régions viticoles du pays, même si Stellenbosch revendique toujours la première place avec 30% des superficies totales, suivi de Robertson avec 18%.
Le sauvignon tant susceptible à la canicule, phénomène qui lui fait rapidement perdre son intensité aromatique et gustative, il s’exprime généralement le mieux dans les régions les plus fraîches d’Afrique du Sud : soit les zones maritimes (telles que Constantia, Darling, Durbanville et Elim) ou les terroirs en altitude (Cederberg et Elgin). Néanmoins, la production globale émanant de ces régions s’avère minuscule par rapport aux volumes élaborés dans la région, plus chaude, de Breedekloof, où l’irrigation favorise les rendements élevés.
L’Afrique du Sud exporte environ 60% des vins qu’elle produit et le sauvignon blanc en représente une part importante : en 2014, un peu moins de 37,5 millions de litres ont été expédiés hors frontières, répartis entre 55,4% de vins conditionnés et 44,6% de vins en vrac, soit 9% du total.
Trois styles variétaux
En matière de profils organoleptiques, le débat qui fait rage depuis quelque temps porte sur le seuil acceptable de méthoxypyrazine (la molécule responsable des arômes et saveurs « verts » dans le sauvignon blanc) dans les vins. Dans les grandes lignes, il est possible de définir trois principaux styles variétaux en fonction des composés aromatiques et gustatifs dominants : à savoir, 1) les esters, 2) les pyrazines et, 3) les thiols. Les sauvignons sud-africains se déclinent dans les trois styles.
- Les vins à forte teneur en esters proviennent généralement des régions viticoles chaudes à l’intérieur du pays. Ils sont légèrement fruités et ont une longévité plutôt courte.
- Les vins avec une forte teneur en pyrazines – on l’a dit – se caractérisent par des arômes « verts » et sont issus notamment des zones au climat plus modéré voire frais.
- Enfin, les vins affichant de fortes concentrations en thiols exhalent des arômes de pamplemousse, grenadelle et d’autres fruits exotiques. Il s’agit là du résultat de la transformation pendant la fermentation des précurseurs d’arômes concernés, différentes levures entraînant diverses concentrations en thiols.
Un niveau qualitatif qui va encore évoluer
Il y a 10 ou 15 ans, les vins aux notes prononcées typiques des pyrazines ont été salués, à la fois par la critique locale et le grand public, parce qu’ils tranchaient avec le style extrêmement neutre de sauvignon blanc qui était monnaie courante jusqu’alors. Lorsque ces vins « verts » ont fait leur apparition, ils étaient pour le moins saisissants.
Toujours est-il que l’on associe de plus en plus ces vins sur les pyrazines à des fruits qui manquent de maturité. En outre, au niveau gastronomique, ils sont peu polyvalents, convenant bien aux fruits de mer mais peu propices à d’autres alliances. Et enfin, bon nombre d’entre eux évoluent mal dans le temps. Tous ces facteurs se sont conjugués pour favoriser le développement de profils qui ne soient pas systématiquement « verts ». Le nombre de cuvées plus orientées vers les thiols atteint son apogée, tandis que l’on voit émerger par ailleurs des sauvignons blancs « sérieux » vinifiés ou élevés sous bois, voire parfois les deux. Malgré les progrès qualitatifs remarquables réalisés ces dernières années par l’Afrique du Sud, il reste encore beaucoup à apprendre, laissant augurer la perspective de voir arriver prochainement sur le marché des vins d’un niveau qualitatif encore plus élevé.