La Styrie, une zone de choix en Autriche pour le Sauvignon Blanc
Si les vins blancs d’Autriche dominent la production de ce pays, qui ne comptent que pour 1% du volume total du vin dans le monde, c’est surtout par une autre variété que le sauvignon blanc, le grüner veltliner, très largement planté dans les deux premières régions viticoles de ce pays. C’est dans la troisième région viticole par la taille, la Styrie (ou Steiermark), le long de la frontière avec la Slovénie, que le sauvignon blanc à trouvé des sites de choix. Ici, sur des pentes souvent très abruptes, il acquiert une rare combinaison entre finesse et puissance de saveurs, sans jamais verser dans la caricature. Le sauvignon blanc est présent dans la région depuis le 18ème siècle et gagne régulièrement du terrain, couvrant maintenant 750 hectares sur les 4,200 que comportent les trois sous-zones de la Styrie, traditionnellement plantées (et autrefois complantées) d’une dizaine de variétés différentes.
Il faut rappeler que cette région vient de nulle part sur l’échiquier historique du vin. Loin des grandes villes et de fleuves donnant accès à ces marchés, la Styrie fut très pauvre jusqu’à un temps très récent. La région pratiquait une agriculture de subsistance, forcément mixte et dont seulement une petite partie concernait la vigne. L’accroissement du tourisme, d’abord autrichienne, puis plus international a bien changé la donne économique depuis 30 ans. Il suffit de regarder la qualité de l’architecture et de la décoration des bâtiments viticoles des domaines styriens, qui réservent toujours une place centrale à l’accueil et souvent aussi à la restauration. Beaucoup réalisent 25% de leur chiffre d’affaires par la vente directe, et ils savent très bien recevoir. La renommée de leur sauvignon blanc n’est pas étrangère à ce succès.
L’une des difficultés liées à la production de vins en mono-cépage est d’éviter de tomber dans un gouffre de vins génériques qui, certes, expriment des saveurs liées à la variété en question, mais qui manquent de distinction et auront toujours du mal à combattre la loi du moins cher qui guette tout marché de masse. L’émulation a toujours bien fonctionné pour engendrer l’excellence et c’est ce moteur-là, ainsi que la volonté de distinguer les meilleurs vins d’un marquage trop générique, qui a motivé un groupe de 10 producteurs situés dans deux des sous-régions de la Styrie, le Sudsteiermark et le Sudoststeiermark, à grouper leurs forces de réflexion et de communication dans une association appelé Steirische Terroir & Klassik Weinguter ( STK pour faire court). Ce sont toutes des entreprises familiales, de tailles variables, mais ayant un objectif qualitatif commun et la volonté de partager des expériences et de promouvoir des échanges. Ils ont élaboré une charte de qualité avec des cahiers de charges pour des vins qui répondent à quatre niveaux hiérarchiques : en ordre montant cela donne Steirische Klassik (génériques régionales), Orstwein (village ou commune), Erste STK Lage (premier cru) et Grosse STK Lage (grand cru). Ce classement volontaire est partagé par les 10 adhérents du groupe.
La Styrie jouxte la frontière slovène et certains domaines, comme celui de Tement, débordent une barrière devenue très peu visible, même si les vins sont nécessairement vinifiés à part. La région est belle et assez spectaculaire par la constance de pentes abruptes sur lesquelles il est parfois difficile de se tenir debout. La plupart du temps, les rangs de vignes dévalent ces pentes mais parfois, quand l’inclinaison devient trop forte, on y construit des terrasses. Les meilleures parcelles font face au sud, au sud-est et au sud-ouest afin de maximiser les rayons du soleil. Ailleurs, ce sont des bois, avec une forte présence de hêtre notamment. Les zones de plaines sont consacrées essentiellement au maïs et autres céréales. Comme ailleurs en Europe, les meilleurs sites viticoles ont été exploités depuis longtemps par l’église. Souvent en Autriche ces parcelles lui appartiennent encore, mais sont maintenant données en location longue durée à des vignerons. Bon nombre de ces parcelles se trouvent dans les classifications actuelles d’Erste Lage ou de Grosse Lage.
Les règles pour l’élaboration des vins ayant ces deux statuts impliquent la définition du site, qui est toujours sur une pente bien orientée et à une altitude élevée pour assurer l’influence favorable du vent, un âge minimal des vignes, une viticulture raisonnée ou biologique (pas de désherbants ni d’engrais artificiels), des vendanges manuelles, si nécessaires en plusieurs passages. De toute manière les pentes ne permettraient pas l’emploi de la machine à vendanger. Les vins issus d’un Erste Lage doivent être vinifiés en sec avec un potentiel d’alcool d’au moins 12,5%. Uniquement des raisins sains sont autorisés (pas de botrytis), et le rendement est limité à 45 hectolitres par hectare. Ces vins doivent avoir un potentiel de garde d’au moins cinq ans, qui est contrôlé en dégustant des vins des cinq derniers millésimes, parfois aussi des vins plus anciens, de chacun des domaines ayant adhéré à la charte.
Les règles pour les Grosse Lage (grand cru), vont encore plus loin avec un rendement maximum de 35 hectolitres, des exigences quant à la nature des sols, des vignes d’au moins 15 ans d’âge et une capacité de vieillissement de 10 ans. Il leur faut en outre un élevage de 18 mois. Chaque catégorie porte une double identification, à la fois sur l’étiquette et sur la coiffe. A noter aussi que 9 domaines sur 10 ont totalement abandonné le liège comme système de fermeture, y compris que les vins de grand cru. Ils utilisent soit la capsule à vis, soit le bouchon en verre.
Comment résumer le style de ces sauvignons de Styrie? Il est parfois plus facile de dire ce qu’ils ne sont pas, mais je ferai aussi quelques remarques sur leurs évolutions stylistiques depuis quelques années, ayant pu déguster des échantillons qui remontaient une vingtaine d’années en arrière. Le style actuel est bien plus restreint que celui des Sauvignons néo-zélandais, par exemple. Surtout ils n’ont que rarement des arômes végétaux de buis ou de poivron vert, et ne vont que rarement vers la gamme très expressive et parfois luxuriante de fruits tropicaux. Je pense qu’un long élevage très peu interventionniste (très peu de bâtonnages ni de soutirages, et un usage très modéré de sulfites) est en grande partie responsable de l’extrême raffinement de texture que j’ai trouvé dans beaucoup des vins. Ils sont d’une suavité quasi-soyeuse, sans jamais devenir mous ! Bien entendu, chaque vigneron donne son style à ses vins, mais un climat quasi-identique sur toute la région et l’effet d’une saine émulation se sont combinés pour rehausser le niveau général des sauvignons de Styrie d’une manière remarquable.
Alors qu’est-ce qu’on gagne en grimpant dans la hiérarchie si les vins dits « de base » sont déjà d’un bon niveau ? Plus d’intensité et de longueur en bouche, mais sans que le caractère « sauvignon » ne domine ni même se fait sentir. On est très loin d’un vin dit « de cépage ». Plus de raffinement aussi car il y a également, et surtout chez les meilleurs, cette superbe suavité de texture qui ne vient pas d’un « gommage » par le bois, mais d’un emploi très intelligent d’un élevage long sans manipulation en grands récipients en bois, dont très peu sont en bois neuf, et, certainement, d’une belle qualité de fruit. Les meilleurs sauvignons de Styrie sont parmi les meilleurs que j’ai dégusté au monde. Il est bien fini le temps d’un boisage un peu lourd. Ces vins ont un équilibre et une texture presque parfaits. Et très peu m’ont déçu ! Oui l’émulation, et l’intelligence, font beaucoup de bien.
Liste du groupe des producteurs STK
Gross, Lachner Tinnacher, Wolfgang Maitz, Neumeister, Erich & Walter Polz, Erwin, Sabathi, Hannes Sabathi, Sattlerhof, Tement, Winkler-Hermaden