« Le sauvignon blanc fait partie des cépages d’avenir »
Benjamin Loze est acheteur vins pour les supermarchés Match et Cora en France. Dégustateur au concours Sauvignon Selection by CMB, il fait le point sur la perception du sauvignon blanc parmi les consommateurs français, et l’ouverture du marché à des cuvées étrangères.
Quel pourcentage le sauvignon représente-t-il de l’offre en vins blancs chez Match et Cora ?
Hors Alsace, le sauvignon représente 13% de l’offre dans nos magasins. Si j’inclus tous les blancs d’Alsace, qui représentent un poids prédominant car nous avons une offre régionalisée, le sauvignon représente un peu plus de 6%, AOP et IGP confondues. A titre de comparaison, le chardonnay représente 3% en raison d’une forte valorisation, notamment des chardonnays de Bourgogne. Pour le sauvignon, globalement on couvre l’ensemble des catégories, les IGP étant prédominantes.
Quelle est la répartition des AOP/IGP par région ?
L’Occitanie représente un poids sur les IGP. Sur les AOP, c’est la Loire. On a aussi des différences de consommation en fonction des régions, et également en fonction des zones urbaines et rurales. En Alsace, par exemple, nous vendons essentiellement des sauvignons valorisés. Sancerre et Pouilly Fumé, par exemple, se démarquent très clairement. Les vins locomotives, tout ce qui est IGP/AOP entre 5 et 7€ qui représentent le prix moyen du cépage, se trouvent en frontal direct avec les vins blancs alsaciens. Ils n’y trouvent donc pas leur clientèle. Très clairement les IGP se consomment en zone rurale, alors qu’en zone urbaine, ce sont les AOP. C’est une question de pouvoir d’achat et puis, il y a une diversité et une richesse de l’offre en zone urbaine, et beaucoup plus de cavistes, donc on retrouve beaucoup plus d’échanges et de culture autour des vins.
La notion de cépage est plus un phénomène de jeune consommateur.
Peut-on évoquer un profil de consommateur type pour le sauvignon ?
La notion de cépage est plus un phénomène de jeune consommateur, même autour de la trentaine ou la quarantaine. Les clients qui ont un certain âge vont plus raisonner en termes de terroir et d’AOP. C’est difficilement chiffrable pour le moment mais je pense que d’ici un an ou deux, avec la forte digitalisation, on pourra récupérer un certain nombre de données sur la typologie des consommateurs plus facilement qu’en magasin. En termes de profil produit, le sauvignon séduit pour son acidité naturelle, son côté accessible et sa fraîcheur, qui correspondent à des attentes de toute une nouvelle génération. Il correspond aussi à une consommation de type apéritif décomplexé. Le profil de sauvignon recherché en France est plutôt tendu, sur la jeunesse – ce que je regrette parfois parce que c’est un cépage qui se prête au vieillissement, beaucoup plus que ce qu’on pourrait penser.
Les Français sont-ils plus sensibles au concept de vins de cépage que par le passé ?
Oui. C’est bien simple, ces dernières années, y compris sur les AOP sauvignon, je communique maintenant sur le cépage. Par exemple, sur du Bergerac blanc, j’ai changé mon assemblage il y a deux ou trois ans, pour avoir a minima 85% de sauvignon et pouvoir communiquer sur le cépage. C’est devenu la clé d’entrée. S’il y a une déconsommation au profit de la bière par exemple, c’est parce que le rayon vin est très complexe, très anxiogène pour le client, qui s’y perd fortement. Or, pour schématiser, on associe le cépage à un goût, à une région, et cela plaît ou cela ne plaît pas. Ce sont des repères. L’un des enjeux est de faire évoluer la réglementation, mais le cépage est devenu un vocabulaire très commun.
À l’avenir, on aura plus de facilités à commercialiser un sauvignon d’Afrique du Sud ou de Nouvelle-Zélande qu’un sauvignon bordelais.
Sur certains marchés, le sauvignon est au sommet de sa gloire. Comment le qualifier en France ?
Hormis quelques appellations de la Loire qui ont un nom et restent un marché à part, dans la grande majorité des cas, on peut dire que le chardonnay a une image un peu plus valorisée, ce qui est largement dû au fait que le chardonnay vient de Bourgogne et que la Bourgogne a globalement une image de vin cher, du moins valorisé. Le sauvignon blanc a été introduit, en termes de notoriété, surtout par les IGP, donc il y a toujours un peu cette barrière qu’il nous est difficile de franchir. Son prix moyen se positionne entre 5 et 6 euros. Pendant la foire aux vins de cet automne, pour la première fois nous avons fait un test sur du sauvignon blanc de Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud. Bilan de l’opération : l’Afrique du Sud a supplanté la Nouvelle-Zélande, et largement. On a un taux de revente sur la Nouvelle-Zélande de 40%, alors qu’on est à 65% pour l’Afrique du Sud. L’explication réside dans le prix – il y a deux euros d’écart. Le prix du sauvignon sud-africain, à 4,95 €, était en correspondance avec le prix moyen du sauvignon sur le marché. On considère ce premier test comme un succès, et on va le reconduire. Dans tous les cas, le sauvignon blanc fait partie des cépages d’avenir. Il a énormément de potentiel. C’est un cépage auquel je crois beaucoup. Et je pense qu’à l’avenir aussi, on aura plus de facilités à commercialiser un sauvignon d’Afrique du Sud ou de Nouvelle-Zélande qu’un sauvignon bordelais. Ce qui est malheureux.
Le sauvignon séduit pour son acidité naturelle, son côté accessible et sa fraîcheur.
Pour élargir sa clientèle, le sauvignon doit-il faire évoluer ses profils ?
C’est assez compliqué de le faire évoluer pour le moment parce qu’il est réellement associé à une consommation apéritive, de début de repas, sur la fraîcheur. Un acheteur de sauvignon blanc recherche une acidité, des vins vifs, nerveux et sur les agrumes, plutôt que la rondeur ou des arômes floraux. C’est très difficile de sortir de ce cadre. Probablement que la richesse du sauvignon blanc, sa capacité à vieillir et sa diversité de profils, passera par un changement d’obturateur. Je crois beaucoup à la capsule à vis. On en prendra de toute façon de plus en plus la direction et cela permettra de faire évoluer pas mal de profils et l’esprit du consommateur sur le sauvignon blanc. J’ai fait une dégustation il y a quelques mois du millésime 2010 du Pessac-Léognan du Château La Louvière, à 85% de sauvignon, en capsule à vis, et c’était magnifique. Le même vin bouché avec un obturateur en liège ne correspond absolument pas aux attentes du consommateur. L’oxydation était beaucoup plus prononcée, avec beaucoup plus d’arômes tertiaires alors que le consommateur recherche bien plus le primaire que le tertiaire.
En termes de storytelling, le sauvignon a une vraie carte à jouer parce qu’il s’adapte à une multitude de terroirs et de climats
Comment voyez-vous l’évolution du sauvignon blanc en France ?
Pour moi, elle passe par la découverte du sauvignon blanc du Nouveau Monde ou en tout cas, hors France. En termes d’innovation, je trouve que le sauvignon coche déjà beaucoup de cases. C’est un cépage qui est connu des consommateurs, et notre volonté c’est de le faire découvrir, sous différentes formes, dans d’autres pays pour nourrir la curiosité des consommateurs sur ce cépage. Je crois beaucoup aux vins sud-africains, probablement plus que ceux de la Nouvelle-Zélande sur le marché français, parce que la Nouvelle-Zélande a l’image de vins commerciaux alors que l’Afrique du Sud, de par sa culture et son histoire, projette une image davantage axée sur la culture du vin. Il y a donc une résonance beaucoup plus forte auprès des consommateurs français. Plus on s’oriente vers la déconsommation, plus les consommateurs vont s’intéresser aux producteurs, à l’environnement, aux origines et à l’histoire des vins. En termes de storytelling, le sauvignon a une vraie carte à jouer parce qu’il s’adapte à une multitude de terroirs et de climats. Sa fraîcheur naturelle plaît énormément. C’est aussi un cépage sur lequel on peut « s’amuser » à le découvrir, on peut jongler d’un profil à un autre. Ce côté ludique est beaucoup plus marqué sur le sauvignon que sur le chardonnay. Et la digitalisation va nous permettre de communiquer sur tous ses profils auprès des consommateurs.
Sharon Nagel